Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/245

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nuit, le feu de Padarang fut doublé, puis le feu de Saint-Jacques ; et Saïgon s’éveillant revit sur sa rivière les mâtures et les coques de ses croiseurs reflétées dans le courant. L’absence avait duré trente-et-un jours.

Fierce, impatient, regardait la ville. Mais, d’abord, il lui fallut dépouiller et déchiffrer le courrier accumulé. Aux dépêches courantes de tout le mois, — qu’on n’avait pas fait suivre, — s’ajoutaient les ordres militaires et diplomatiques arrivés la veille et l’avant-veille. L’état-major passa quatre heures à la besogne. Chaque aide de camp, isolé dans sa chambre, attaquait séparément sa part de textes, et les traductions dépouillées arrivaient une à une sur la table de l’amiral, où tout se coordonnait et prenait sens. Fierce déchiffra son lot sans s’informer de l’ensemble ; peu lui importait que le vent fût à la paix ou la guerre ; il songeait à la rue des Moïs.

Il y courut dès le premier canot major, et le soleil de trois heures ne l’effraya pas. Il alla à pied plutôt que d’attendre une voiture, et le cœur lui battit chaudement en revoyant la villa et la chère véranda des fiançailles. Une secousse de bonheur tressaillit dans ses moelles : puisqu’il l’aimait toujours rien n’était perdu, rien n’était compromis ; ces trente jours troubles et névrosés allaient s’effacer comme un mauvais rêve, au premier sourire de la fiancée. Il sonna à la grille. Un boy ouvrit, paresseux, et, le reconnaissant, s’en fut chercher une lettre ; Fierce, étonné, anxieux, déchira l’enveloppe, — et resta stu-