Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/255

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Toute la nuit, Fierce se promena sur le pont, avide de fraîcheur.

Un peu de fièvre battait à son pouls. Il se sentait superstitieux et craintif. La fatalité qui depuis un mois l’écartait avec obstination de Sélysette défiait évidemment les possibilités d’un simple hasard. Il y avait là de l’inexplicable ; l’œuvre ténébreuse d’un génie hostile, qui peut-être rôdait alentour, dans la nuit inquiète, — prêt à l’accabler sous d’autres coups.

À l’aube, l’Avalanche repartit.

Des jours passèrent, pareils.

La révolte indigène avait pris feu tout d’un coup, et couru sur le pays comme une traînée de poudre. Deux provinces s’étaient levées en deux jours, incendiant leurs villages, mutilant leurs colons, se ruant à l’assaut des résidences et des postes défendus. Beaucoup de sang avait coulé très vite. Puis, au retour offensif des Français, à l’apparition des colonnes lancées contre les rebelles, un soudain silence avait succédé au tumulte, et le vide s’était fait devant l’invasion : la guerre orientale commençait, — sournoise et têtue.

Point de combat. Des embuscades, des guets-apens ; — un coup de fusil jailli d’une haie ; une sentinelle égorgée sans cri dans sa guérite. — Les soldats s’énervaient à celle lutte contre un ennemi sans corps ; il n’y avait de bons combattants que les tirailleurs annamites, patients et froids comme l’ennemi ; — pareils. Ils se ballaient d’ailleurs férocement, parce