Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/268

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plus grand’chose pour lui. Amoureux qu’il était de deux femmes, et chaste envers les deux, il était devenu soudain impuissant à l’encontre de toutes les autres. Il ne pouvait plus aimer. Ç’avait été d’abord une répugnance qu’il n’essayait pas de vaincre ; mais il constata bientôt que c’était pis : une impossibilité. Torral, qui le soignait en ami, avait exigé qu’il conservât quelques maîtresses : il en usait comme un vieillard. — Il n’avait que trente ans ; mais sa mine était plus vieille que lui, et le désarroi de sa moelle se reflétait maintenant sur son visage, — toujours très beau, mais épuisé.

Alors, il comprit qu’il marchait vers le fond d’une impasse, et que toute porte était bonne pour s’en tirer. En même temps, la nouvelle du mariage de Fierce lui arrivait comme un exemple à suivre. Il reprit son projet, s’y accoutuma, et l’estima bientôt excellent et raisonnable, conforme à tous ses vœux même imprécis. Dès lors, il voulut engager l’affaire. Mais au premier abord, il vit les yeux de sphinx qui le fixaient de leur regard immobile, fut ébloui, ne paria pas et s’en alla.

Les yeux de Marthe Abel. — Mévil, seul, y songea pour la première fois. Qu’y avait-il, derrière ces froides lampes noires ? — Il avait aimé beaucoup de femmes, il les avait regardé vivre et s’agiter ; il connaissait leurs ressorts habituels, qui sont l’ambition, la vanité, la sensualité, — et la vénalité, en quoi tout se résume. Qu’y avait-il derrière les yeux de Marthe Abel ? Elle était un sphinx, aussi bien au dedans qu’au