Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/306

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influence quelconque de tout cela sur son propre désastre. — Aucune influence, évidemment. Torral continuait :

— « Les officiers de réserve seront appelés demain matin, et expédiés au feu en cinq secs. Merci pour moi ! Les batteries sont un lieu malsain, que ma santé ne saurait souffrir. J’ai retenu ma cabine à bord du paquebot allemand qui part cette nuit pour Manille. Et je laisse les fous s’étriper entre eux. »

Fierce n’objecta rien. Incontestablement, la désertion de Torral était un acte logique et justifiable, conçu selon la bonne formule : — minimum d’effort, minimum de douleur. — S’expatrier plutôt que mourir ; ça valait mieux, sans contredit. Torral accepta l’approbation silencieuse ; et moins âpre :

« C’est égal, acheva-t-il, tu as traversé la ville, et tu n’as pas même entendu les braillements de la rue Catinat ?

— Non, je n’ai pas entendu…

— Très malade… »

Il s’apitoyait un peu, avec du mépris. Mais c’était le premier mot de compassion que Fierce entendait, et tout son cœur en fondit de douleur et de reconnaissance.

— « Oh ! si tu savais… »

Dans une convulsion de souffrance, il crispait ses mains jointes derrière sa nuque, et se raidissait, le dos au mur, comme un crucifié.

« Si tu savais… »

Il parla. Les mots maintenant lui montaient à la