Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/309

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que ce catéchisme, — le catéchisme des Civilisés, — est un secret qu’il faut cacher aux peuples, parce qu’ils en sont indignes, et réserver aux seuls individus d’élite, dont je suis. Toute civilisation doit être ésotérique ; et la profanation des mystères rebrousse l’évolution vers la barbarie. »

Il tira les dernières bouffées de sa cigarette et l’éteignit sous son pied.

— « J’imagine d’ailleurs que tu sais tout cela comme moi ? »

La flamme de la lampe baissait avec de petites convulsions qui jetaient aux murs des sarabandes d’ombres rougeâtres. Fierce baissa la tête. Que répondre ? Torral parlait vrai, et rien ne pouvait être opposé à son dogme irréfutable. Tout à coup, parmi les fantômes de sa pensée, Fierce revit Mlle Sylva, — candide, croyante, absurde, heureuse.

— « Eh oui ! cria-t-il soudain. Je sais tout cela. Ton catéchisme, je l’ai appris au collège ; et je le pratiquais d’instinct, avant de l’avoir appris : — et il n’y a de vérité qu’en lui, et tout le reste est mensonge. — Oui, parbleu, je sais tout cela Mais encore ? Il n’y a ni dieu, ni loi, ni morale ; il n’y a rien, que le droit pour chacun de prendre son plaisir où bon lui semble, et de vivre aux dépens des moins forts. — Et puis ? — J’en ai usé, de ce droit ; j’en ai abusé. Et j’ai fait ma maîtresse de la vérité la plus égoïste et la plus implacable : est-ce ma faute, si j’étouffe aujourd’hui entre ses bras ? est-ce ma faute, si j’ai trouvé la lassitude et l’écœurement là où tu dis qu’est le bonheur ?