Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/311

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noré, condamné, chassé de partout, n’aura pas un cimetière où reposer ses os !

— Possible. Cela ne prouve rien. »

Il faisait tout à fait sombre ; la lampe achevait de râler, et c’était comme un feu follet qui dansait encore dans le noir. Torral prononça, calme :

« Cela ne prouve rien. Je me suis peut-être trompé ; mais ce n’est qu’une faute de calcul. La méthode du problème reste exacte. Je recommencerai. »

Il écouta l’heure qui sonnait à un clocher.

« Je recommencerai. Ce n’est qu’une vie à refaire. Je pars : adieu. Jadis, je t’aurais emmené ; nous aurions déserté ensemble ; nous serions sortis tous deux vivants et forts des ruines qui vont crouler ici, et t’ensevelir. Mais tu as craché la civilisation, tu retournes vers les barbares, et je pars seul. Adieu. »

Il marcha vers la porte. La lampe était sur son chemin : il la renversa d’un coup de pied.

— « Adieu, » dit-il encore.

Il s’en alla.

Fierce, seul dans la fumerie noire, écouta les pas qui s’éloignaient. Et comme il prêtait l’oreille, un lointain murmure le fit tout à coup tressaillir, — un frémissement sourd qu’apportait la brise du sud, — l’imperceptible grondement des canons anglais, là-bas sur la mer.