Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/324

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tendre aussi… et il retient son souffle, jusqu’à suffoquer. Mais le cauchemar, soudain, se pulvérise dans un fulgurant réveil : des gerbes d’électricité violette jaillissent du King-Edward, volent sur l’eau, frappent le torpilleur ébloui, l’enveloppent, l’inondent d’éclatants rayons, l’auréolent d’une funèbre gloire, — cependant que, tous à la fois, les canons démuselés se hérissent d’éclairs, et hurlent comme une meute à la curée.

Fierce n’y voit plus, — aveuglé net par les faisceaux électriques dardés dans ses prunelles. Tant pis. En avant quand même ! Il a crié d’abord à pleine poitrine pour mieux soulager ses nerfs : « Les machines, quatre cents tours ! » Et maintenant, toutes ses fibres tendues vers le but à frapper, il répète, il répète à satiété sa leçon apprise : « Je tirerai quand je le toucherai. Je tirerai quand je le toucherai. Je tirerai quand je le toucherai… »

Les obus bourdonnent et fouettent l’eau çà et là. Ils éclatent presque tous au choc, parmi les vagues, et cela fait de hautes gerbes jaillissantes qui retombent en pluie, — des fantômes liquides tout blancs sous la lune, qui surgissent et disparaissent dans le même clin d’œil, et sournoisement convergent vers le torpilleur. Oui, c’est comme une ronde de spectres lestes qui se jetteraient leurs suaires les uns aux autres, — de beaux suaires d’écume neigeuse, dont chaque pli recèle la mort. La ronde tournoie et se resserre. Mais le 412 file trente nœuds, maintenant. Au travers des vagues et des obus il se rue irrésistiblement, inflexi-