Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/87

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fleurs rouges surtout, — les flamboyants ponceau, les hibiscus carmin. — Enfin, plus haut encore, les palmiers de toutes les races balançaient leurs branches délicates, découpées en ombres fantasques et compliquées sur le ciel éclatant. Les aréquiers aériens mêlaient leurs palmes longues aux larges palmes des éventails, aux palmes ajourées des cocotiers lourds de fruits ; — tout cela planant par-dessus la forêt, en féeriques bouquets portés à bout de tiges, des tiges minces et blanches comme des colonnes ioniques.

Sous le sabord du croiseur, l’eau jaune frôlait la coque. Elle glissait vite, hâtive et inquiétante, charriant des troncs demi-engloutis, des feuilles, des planches, des débris venus de loin, des épaves indécises de la grande Asie inconnue. Le soleil habillait la rivière d’une étoffe éblouissante, au point qu’on ne distinguait plus les trous noirs des tourbillons, happant au passage toutes les choses flottantes.

— « Très bien, tout ça, » dit Fierce.

Et il se sentit d’excellente humeur. Il n’avait pas fumé d’opium la veille.

Le semaine avait été propice. Plus vite qu’il n’avait espéré, Saïgon l’avait favorisé d’une hospitalité convenable : Bon gîte, — joyeux soupers, — et le reste. Le gîte était une simple chambre de sieste, grande, nue, fraîche, meublée seulement d’un lit de crin, d’une moustiquaire et d’un panka qu’un boy agitait. Par les fenêtres, un flamboyant oblique poussait des branches et secouait des fleurs. Dehors, c’était le vieux quartier Tuduc, des rues à moitié chinoises, brunes et