Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais j’aurais beau ne pas être sa fille que je l’aimerais autant et que j’aurais le même bonheur à vivre avec elle…

— Je ne savais pas que l’amiral fût ami de madame Sylva.

— Ils se sont connus il y a longtemps, et puis perdus de vue, mais après avoir été absolument intimes. Tout ça se passait fort avant mon entrée dans ce bas-monde ; moi, j’ai vu tout à l’heure M. d’Orvilliers pour la première fois… Mais je l’aime d’avance : maman m’a tant parlé de lui. Je sais comme il est bon, et quel beau caractère c’est… »

Fierce donne un coup d’œil à l’amiral dont les yeux candides contrastent avec la mine haute et rude.

— « C’est, comme vous disiez tout à l’heure, un homme d’autrefois.

— Oui… autrefois valait mieux qu’aujourd’hui.

— Peut-être, dit Fierce. — Ainsi, mademoiselle, vous vivez à Saïgon, presque en garde-malade, et vous êtes contente de votre vie. Vous ne vous ennuyez jamais ?

— Jamais ! Je suis très affairée, songez !

— C’est vrai, vous avez votre poupée…

— Taisez-vous donc ! si c’est comme cela que vous gardez les secrets d’État qu’on vous confie ! il y a de quoi me déshonorer : savez-vous que j’aurai vingt ans le mois prochain ? — Laissons « ma fille » en paix. Je suis maman pour rire, mais je suis maîtresse de maison pour de bon.

— C’est juste.