Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/148

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centre de qui redoutablement se tient seule la table du travail. Et intérieur à ces lignes blanches qui marquent les fissures de ma prison hermétique, je mûris la pensée de l’holocauste ; ah ! s’il est enviable de se dissoudre dans l’étreinte flamboyante, enlevé dans le tourbillon du souffle véhément, combien plus beau le supplice d’un esprit dévoré par la lumière !

Et quand l’après-midi s’imprègne de cette brûlante douceur par qui le soir est précédé, semblable au sentiment de l’amour paternel, ayant purifié mon corps et mon esprit je remonte à la chambre la plus haute. Et, me saisissant d’un livre inépuisable, j’y poursuis l’étude de l’Être, la distinction de la personne et de la substance, des qualités et des prédicaments. Entre les deux rangées de maisons, la vision d’un fleuve termine ma rue ; l’énorme coulée d’argent fume, et les grands navires aux voiles blanches avec une grâce molle et superbe traversent la splendide coupure. Et je vois devant moi ce « Fleuve » même « de la Vie », dont jadis, enfant, j’empruntais l’image aux discours de la Morale. Mais je ne nourris plus la pensée aujourd’hui, nageur opiniâtre, d’atterrir parmi les roseaux, le ventre dans la vase de l’autre rive : sous la salutation des palmes, dans le silence interrompu par le cri du perroquet, que la cascade grêle derrière le feuillage charnu du