Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/165

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le bouleversement qui m’entoure aucun pacte, et la poignée d’âmes humaines que contient cet étroit vaisseau, comme un panier de son se dissiperait dans la matière liquide. Sur le sein de l’Abîme, qui, prêt à m’engloutir, me circonvient avec la complicité de ce poids que je constitue, je suis maintenu par une fragile équation. Mais je descends, pressé d’échapper à la vision de tristesse, dans ma cabine, et me couche. Cap au vent, le bateau se lève à la lame, et parfois l’énorme machine, avec ses cuirasses et ses chaudières, et son artillerie, et ses soutes gorgées de charbon et de projectiles, se rassied tout entière sur la vague comme l’écuyère qui, prête à bondir, se ramasse sur les jarrets. Puis vient un petit calme, et j’entends bien loin au-dessous de mon oreille l’hélice continuer son bruit faible et domestique.

Mais le jour qui suit, avant qu’il ne finisse, voit entrer notre navire à ce port retiré que la montagne enclôt comme un réservoir. Voici, de nouveau, la Vie ! Touché d’une joie rustique, je me reprends au spectacle interrompu de cette exploitation fervente et drue qu’elle est, naïvement originale du fonds commun, cette opération assidue, multiple, entremêlée, par laquelle toutes choses existent ensemble. Dans le moment que nous affourchons nos ancres, le Soleil