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claudine à l’école

On entend les chaussures jetées dans l’escalier, rebondissantes ; une retombe jusqu’en bas, sur le seuil, dans la lumière, une bottine vernie, toute luisante et fine. Personne n’ose y toucher. La voix exaspérée diminue, s’éloigne au long des corridors, dans les claquements des portes, s’éteint ; on se regarde alors, chacun n’en croyant pas ses oreilles. Les couples encore unis demeurent perplexes, aux aguets, et peu à peu des rires sournois se dessinent sur les bouches narquoises, courent en goguenardant jusque sur l’estrade où les musiciens se font du bon sang, tout comme les autres.

Je cherche des yeux Aimée, je la vois pâle comme son corsage, les yeux agrandis, fixés sur la bottine, point de mire de tous les regards. Un jeune homme s’approche charitablement d’elle, lui offrant de sortir un peu pour se remettre. Elle promène au tour d’elle des regards affolés, éclate en sanglots et se jette dehors en courant. (Pleure, pleure, ma fille, ces moments pénibles te feront trouver les heures de joie plus douces.) Après cette fuite, on ne se gêne plus pour s’amuser de meilleur cœur, échanger des coups de coude, des « T’as-t’y ben vu ça ! »

J’entends alors près de moi un fou rire, un rire perçant, suffocant, vainement étouffé dans un mouchoir : c’est Luce qui se tord sur une banquette, pliée en deux, pleurant de joie et, sur la figure, une telle expression de bonheur sans ombre, que le rire me gagne, moi aussi.