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chap. iii. — rapport des forces.

l’infériorité numérique. Quant aux modifications que cette inégalité du nombre entre les forces doit apporter dans la direction à donner à la guerre, nous ne pourrons les signaler que peu à peu et chaque fois que le cas s’en présentera en avançant dans notre étude. Au point où nous en sommes nous ne pouvons encore que très superficiellement envisager la question. Nous nous permettrons cependant une dernière observation à ce sujet.

Plus sont limitées les forces d’une nation entraînée fatalement dans une lutte inégale, et plus il convient que multipliées par l’imminence et par la grandeur du danger, l’énergie et la force morale de cette nation soient inébranlables. Là où le contraire se présente, là où l’affolement remplace le courage héroïque du désespoir, il va sans dire que l’art militaire le plus entendu restera impuissant. Mais par contre, la où se rencontreront cette énergie et cette force morale unies à une sage modération dans les résultats recherchés, là on verra généralement se produire cette alternative de brillants combats et d’opportune circonspection que l’on admire avec tant de raison dans les campagnes du grand Frédéric.

Il peut cependant se présenter des circonstances si absolument défavorables, que cette sage manière d’agir soit impuissante à rétablir tant soit peu l’équilibre. Le salut de la nation ne repose plus, dès lors, que sur l’extrême exaltation du patriotisme et de l’énergie morale de ses forces vives. Là, en effet, où la modération des vues ne peut sauver d’une perte certaine, là où l’invraisemblance de la prolongation de la lutte est si évidente que l’emploi le plus mesuré des forces armées n’a plus d’objet, ces forces doivent se réunir toutes, et, par un unique et suprême effort, tenter une dernière fois le sort des armes dans une action désespérée. Ne