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au soir de la pensée

ce jour-là, dans les rues et les bazars de Téhéran, écrit Gobineau, un spectacle que la population semble devoir n’oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd’hui, se met sur cette matière, on peut juger de l’admiration horrible que la foule éprouva et que les années n’ont pas diminuée. On vit s’avancer, entre les bourreaux, des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées flambantes, fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes, et on les faisait marcher à coups de fouet. Enfants et femmes s’avançaient en chantant un verset qui dit : « En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons à lui »…

Je ne m’arrête pas au tableau du supplice final. « La nuit tomba sur un amas de chairs informes. Les têtes étaient attachées en paquets au poteau de justice, et les chiens des faubourgs se dirigeaient par troupes de ce côté. »

De tels spectacles, au cœur des temps modernes, ne manifestent-ils donc pas quelque chose de plus qu’un vulgaire attachement à une doctrine informulée de théologie. Le plus haut élan d’une aspiration d’idéalisme au delà des forces humaines, en vue d’un achèvement moral du for intérieur dont l’évocation paraît si redoutable aux Puissances de fait.

Dans ces mêmes conditions avait surgi le christianisme, trop tôt défiguré par son triomphe. Après les horreurs du cirque romain, les massacres d’hérétiques par la postérité des victimes. Rôles trop tôt retournés. Le dernier auto-da-fé, en Espagne, est de 1823. Le babysme, d’hier. Et s’il se voit assez que les religions, diverses, et même contradictoires, réclament un rôle capital dans l’origine et les développements des civilisations, comment nous expliquer l’affreux accouplement des plus hautes pensées et des plus bas dévergondages d’humaine barbarie ? Considéré comme phénomène cosmique, l’homme doit subir l’épreuve de sa propre faculté d’analyse, ne fût-ce que pour les vues plus ou moins chanceuses d’un meilleur avenir à réaliser sous le nom d’une civilisation.

Sommes-nous donc bien sûrs que l’homme « civilisé » soit si différent du sauvage ? Que de ressemblances en des formes d’activités différentes, ou même opposées, comme c’est le cas du sauvage en comparaison des anthropoïdes et de toute la série animée dont il est le produit ! Des oscillations de toutes ampli-