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La civilisation

nous porte, au contraire, à extérioriser tout retentissement organique des connaissances positives pour en composer le meilleur, le plus beau, le plus haut de l’être en perpétuel développement d’avenir. La religion est un essai de personnalisation de l’idéal qui s’ébranle et fléchit sous l’effort des connaissances positives, fondement des énergies de la civilisation expérimentale, c’est-à-dire d’une vie sociale en activité de perfectionnement. Dans la mesure où le permettra la culture intellectuelle, avec les conflits des émotivités anciennes et nouvelles, les phénomènes contradictoires de l’homme pourront longtemps subsister en des formes de douleurs et de joies qui sont les pôles de la vie humaine.

L’évolution générale, composition des évolutions particulières, fait la civilisation positive aussi bien par l’interdépendance que par les oppositions des évolutions individuelles. Jusqu’aux jours de l’expérimentation, métaphysique et théologie ont réussi à garder officiellement en main la clef de tous les problèmes. L’heure est venue, cependant, de se demander si les multiples états de « l’homme divers » ne révèlent pas des successions de processus où se développent des formations coordonnées. C’est la vue dite de l’évolution, aux termes de laquelle il n’y a dans le monde qu’un écoulement d’activités continues, dont les moments constituent ce que nous appelons les phénomènes — qui s’impliquent et s’expliquent mutuellement.

Au lieu donc de nous demander si tel ou tel peuple peut être, ou non, inclus dans les cadres magiques de l’entité « civilisation », au lieu de nous ébahir aux mélanges incohérents d’idéalisme et d’atavisme barbares qui caractérisent tels peuples en tels temps de leur histoire, nous n’aurions qu’à prendre acte du mouvement d’universelle évolution qui emporte rythmiquement le monde, et, avec lui, l’homme passager, aux rencontres des primitivités héréditaires et des aspirations d’une idéologie plus ou moins positivement fondée.

La civilisation représente une évolution organique de l’humanité socialisée, voilà toute l’affaire, en un mot contre lequel aucune métaphysique ne pourra prévaloir. Autant les Bonald et les Guizot s’embrouillent aux déchets d’interprétations surannées en vue d’accommoder aux légendes bibliques des parties d’expérience moderne dont ils ne peuvent se déprendre, autant ce que nous avons constaté du phénomène humain nous