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AU SOIR DE LA PENSÉE

verra bientôt débordé par le pullulement sans frein d’extravagances propres à dérouter tout effort d’observation suivie. À ne considérer que l’évolution du phénomène depuis l’Iran et l’Inde jusqu’aux sectes chrétiennes, on devra reconnaître que les « progrès » des âges n’en ont pas sensiblement affiné l’affabulation.

je ne puis suivre ici les mythes de leur naissance à leurs développements, même en me bornant à quelques-uns des plus notables. Dans l’ordre des religions indo-européennes, l’Inde, la Perse, la Grèce nous en apportent une telle profusion en de si étranges successions d’aventures, que l’esprit en est déconcerté. Les savantes études de l’école allemande nous ont ouvert une abondante source d’interprétations positives par d’incomparables travaux sur la formation et l’évolution du langage. De magnifiques légions de chercheurs ont diversement contribué à l’établissement d’une science de la parole articulée qui nous fournit les plus sûrs fondements d’une science de la pensée. J’en ai indiqué quelques traits quand j’ai montré comment la formation des mots nous avait inconsciemment conduits à l’apparition, à la création des Dieux.

Max Muller rend un éminent hommage à Locke qui s’est bravement attaqué aux problèmes des mots, inaugurant la révolution de connaissances d’où la philologie comparée a fait jaillir d’éclatants faisceaux de lumières sur l’évolution de la parole articulée[1]. Bien que Max Muller, à la façon de Bunsen, demeure embarrassé dans les liens du primitif a priori qui a précédé l’observation du Cosmos, ces deux savants ont tracé de si lumineux sillons dans les champs de l’histoire de l’entendement humain que, du premier coup, une merveilleuse coordi-

  1. J’aurais voulu pouvoir donner en note une page ou deux de Max Muller pour montrer comment ce savant aborde les problèmes des mythes par les méthodes de la philologie. Mais je dus reconnaître qu’il ne me faudrait pas beaucoup moins qu’un chapitre pour donner une idée à peine suffisante du sujet. Je ne puis donc que renvoyer à l’Essai sur la mythologie comparée du même auteur, ou à sa onzième leçon des Nouvelles leçons sur l’origine du langage particulièrement consacrée à l’étude du mythe de l’Aurore. Le lecteur ne pourra se tenir d’admirer la savante ingéniosité de l’effort et l’heureuse ordonnance des résultats.