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LES DIEUX, LES LOIS

achèvements de la connaissance (maudite sous le nom de science) pour nous ramener aux aberrations des premiers jours ? Progresser ou régresser : voilà comment le problème se pose dans les formes inéluctables de la phénoménologie.

Ce n’est pas qu’on ne puisse espérer de surmonter, avec le temps, l’immobile saxum des intelligences barricadées. Capables de se rendre aux témoignages des phénomènes, elles doivent finalement renoncer, par le progrès des âges, à leur automatisme d’irréductibilité. Je ne leur marchanderai pas les siècles — goutte d’eau dans l’océan des âges — pour leurs chances d’atteindre à de nouvelles infiltrations de lumière dans le tunnel obscur où, tous ensemble, nous nous faisons gloire de creuser.

Quand le Saint Antoine de Flaubert s’est successivement épuisé dans tous les développements de ses rêves, il a ce mot terrible : « Et maintenant recommençons. » Quelle autre issue, puisque ces Décrets du Ciel ont cela de merveilleux que l’homme, — dans l’intérêt de qui ils ont été prévenus de toute éternité — peut s’y soustraire par des rites suivis d’implorations appropriées ? Immuables et susceptibles de changements : accommodez cela aux convenances de chacun. Nul ne prie, a-t-on observé, pour que deux et deux fassent cinq. On risque le saut, cependant, pour changer les combinaisons moins rigoureuses, semble-t-il, des activités cosmiques — mécaniques, physique, chimie, biologie — dont les phénomènes se compliquent au delà des « pénétrations » du vulgaire. On priera pour obtenir la fin ou la venue d’une pluie, ou pour que la foudre suive un autre chemin en dépit de ses propres lois. Des actions de grâces à la Divinité si les vœux s’accomplissent. Des actions de grâce même si cette satisfaction se trouve refusée — pour notre bien ultérieur, s’efforce-t-on de supposer. Ainsi, ne risque-t-on pas de se tromper.

Dans l’ordre de la vie organique, de toutes complexités, la prière se donnera du champ, au jour le jour, sans qu’il soit concevable que l’occasion arrive jamais à l’épuiser. Les maladies du bétail et de l’humanité, les accidents de toutes sortes, les besoins

    contre lui-même — que la vérité absolue. Saluons l’un des plus beaux désespoirs d’une contingence humaine, dont les dramatiques douleurs n’ont pu vaincre l’inflexible tourment d’un doute obstiné.