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AU SOIR DE LA PENSÉE

Si la connaissance se peut expliquer par un synchronisme de vibrations qui, unissant le sujet et l’objet en de communes ondes de correspondances, inscrit au neurone sensitif une conscience du dehors, comme on l’a vu par l’exemple du diapason, il en résulte ces équivalences d’activités qui font une mer étale de flots contrariés. Un apaisement des antennes de sensibilité projetées au delà des surfaces organiques[1]. Une interdépendance des réactions sensorielles synthétiquement éveillées. L’allégresse d’un achèvement de nous-mêmes qui va se résoudre aux abords d’une exaltation suggestive de surhumanité.

Je ne vais point médire des enchaînements de savante cohérence, gâtée par des apports d’incohérence, pour les faux pas du raisonnement[2]. je crois seulement pouvoir alléguer que les interprétations dites de « raisonnement » ne nous ont pas conduits à beaucoup moins de mécomptes que l’imagination elle- même, parce que les chaînons de connaissance qu’elles ont la prétention d’exprimer sont trop souvent rompus par des interprétations de méconnaissances auxquelles nous attachons un prix d’autant plus grand que tous les consensus de nescience se réunissent pour les recommander. De l’état actuel de l’humanité aux développements à venir, je me refuse à de trop faciles inférences. Le prophète a plus tôt fait de se dilater dans ce qui sera, que de se réduire à ce qui a été.

Dans la sensation proprement dite, comme dans sa transposition du sentir au connaître, par le moyen du commutateur cérébral, l’évolution nous apportera tous accroissements et même tous affinements d’énergies, sans réussir, autant que je puis croire, à changer les données profondes du problème mental. La table de réceptivité nerveuse ne manquera pas de croître en étendue aussi bien qu’en sensibilité, aux deux pôles de la faculté de sentir, — plaisir et douleur. Un plus grand nombre de sensations délicates pourront arriver, par le moyen d’une gymnastique supérieure, à de plus hauts achèvements de connaissance — mais toujours d’une connaissance approchée

  1. On peut supposer, même dans l’inorganique, toutes nuances de réceptivité physico-chimiques qui échapperaient aux grossières mesures de nos sensations organiques.
  2. Voyez plutôt Descartes lui-même entreprenant de raisonner le monde, et excluant d’abord Dieu et le Roi du cercle de ses « raisonnements ».