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LE MONDE, L’HOMME


Le « Moi ».


On s’étonnera peut-être de ce que j’inaugure l’apprentissage du Cosmos par un essai de détermination du Moi, après avoir dit que l’univers contient le Moi, et que le Moi ne peut s’isoler de l’ensemble. S’il est reconnu, en effet, que le Moi procède du Cosmos et qu’il ne peut s’expliquer en dehors des enchaînements cosmiques qui le tiennent irréductiblement lié, c’est pourtant dans l’organisme du Moi — partie de l’univers où se réfléchit l’univers — que je vais recueillir les images sur lesquelles se fonderont mes interprétations de positivité. Il convient donc que je commence par l’examen de mon appareil réflecteur qui doit enregistrer les valeurs de la connaissance. Après quoi, j’enregistrerai le défilé des images dont l’interprétation sera contrôlée par des recoupements de connaissances acquises : ce qui m’apportera souvent la tentation d’anticiper parfois sur ce qui va suivre, au hasard de m’égarer. Il n’en peut aller d’autre sorte, puisqu’il n’y a ni commencement ni fin dans l’univers, et que mon commencement subjectif de connaissance exige au moins la notation initiale d’un premier chaînon d’expérience. En dépit de l’isolement subjectif créé par l’individuation du Moi, c’est donc l’univers qui s’interroge lui-même à travers le complexe de ma personnalité, et le drame humain de ses réponses successives l’affecte par le retentissement de, mon activité sur des parties de l’universelle synthèse.

Je ne demanderai pas au Moi le secret du Cosmos, ainsi que fait le métaphysicien. Tout au contraire, chercherai-je dans le Cosmos le secret de mon individualité. Après quoi, il ne me restera plus, pour reprendre le cours de l’enchaînement cosmique qu’à relier le phénomène de l’individuation aux activités évolutives qui l’ont déterminé. Ainsi la boucle sera bouclée. Je n’ai pas le choix d’un autre point de départ, puisque ma fixité n’est que d’apparence et que je suis aux prises avec l’infini. Envisageons donc ce mystérieux Moi cosmique, qui ne craint pas de s’opposer au Cosmos dont il est issu.