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AU SOIR DE LA PENSÉE

son « Éternel » avec les humains, en vue de qui il avait créé l’univers. L’Indien ne se pouvait satisfaire à si bon compte. Il lui fallait une métaphysique de l’univers aussi bien que de Brahma qui « existe par lui-même », mais demeure, cependant, un produit temporaire de l’Être universel (Brahman), au même titre que tous les Dieux émanés de sa propre substance.

Les deux principales cosmogonies qui nous restent de l’Inde (Védas et Lois de Manou) sont du même fond de pensée[1], donnant naissance aux mythes dévergondés. Nous sommes loin de l’aride simplicité de la Bible qui satisfait l’esprit occidental à si bon compte, dans le parti pris des yeux fermés ! Au-dessus de tous les Dieux personnels j’ai dit Brahman, puissance universelle résistant plus que les autres Divinités à la personnification cultuelle ou elle finit, cependant, par sombrer, pour reparaître tout aussitôt sous le nom d’Atman (souffle, esprit), source suprême des énergies.

Pour l’Hindou des Védas, le monde s’enflamme par la méditation intérieure qui produit l’activité du Karma, le désir[2], selon le Rig-Véda. Des hymnes attribuent la création du monde à d’autres Divinités, tandis que les Brahmanes nous présentent l’œuf cosmique (tout comme l’Égypte, la Chine et la Polynésie) d’où sort Brahma lui-même, « de qui émanent les Dieux et le monde ». Laissons les imaginations se perdre en cette impénétrable forêt d’abstractions effrénées.

Par ses hymnes védiques et ses grands poèmes ou nous trouvons d’inattendues ressemblances avec la Grèce, l’Inde s’est montrée de débordements émotifs miraculeusement subtilisés dans les détours de la métaphysique la plus ténue. Le trait génial en est de ne repousser formellement aucune affirmation pour aiguiser d’une pointe de doute la croyance proclamée. Les cosmogonies de l’Inde ne se peuvent compter. Toutes contradic-

  1. Il y a une cosmogonie de l’Upanishad. « Le soleil est Brahma. Au commencement, le Tout n’existait pas. Lui existait. Il se métamorphose et devint un œuf. Au bout d’un an, l’œuf se fendit en deux. Une moitié de la coquille était d’or, l’autre d’argent. L’argent, c’est la terre ; l’or c’est le ciel. »
  2. C’est ce que notre naturalisme appelle le besoin, source profonde de toute activité. D’où la formule : « Le besoin fait l’organe. »