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AU SOIR DE LA PENSÉE

primitif de la nature, par les seules lois de la mécanique, la formation des corps célestes et l’origine de leurs mouvements… D’autre part, la religion menace de ses foudres l’audacieux qui oserait attribuer à l’action de la nature seule une œuvre où elle voit avec raison l’intervention immédiate de l’Être suprême… Ce n’est qu’après avoir mis ma connaissance en sûreté au point de vue religieux que j’ai dressé le plan de mon entreprise… » Ainsi devait-on encore parler, à l’aurore du dix-neuvième siècle, pour obtenir, à tous risques, la permission d’observer.

Le philosophe de Kœnigsberg cherchait l’explication de l’univers stellaire. Refroidissement par rayonnement, condensation croissante mais inégale, selon les matériaux et les mouvements intérieurs de la masse, opposition des forces centripètes et centrifuges, rotation, gravitation, contraction produisant des anneaux nébuleux (dont Saturne a conservé le témoignage) repliés en l’orbite des planètes en formation, telle apparaît, selon l’hypothèse kantienne, la succession des phénomènes, depuis l’ultra-dispersion des atomes dans la nébuleuse « chaotique » jusqu’aux formations du monde où nous nous débattons.

Le malheur de Kant est d’avoir eu besoin de l’ancien chaos païen pour l’intervention de son Dieu fabricateur universel, — ce qui condamnait l’univers à l’immobilité du « repos » comme point de départ du mouvement. Difficulté, quand nous ne connaissons et ne pouvons concevoir, dans le monde, que des activités sans commencement ni fin. Et ceci pour conclure : « Il existe un Dieu précisément parce que le chaos lui-même ne peut engendrer que l’ordre et la régularité. » Nous devions vraiment pouvoir tirer autre chose de la loi de Newton que de fonder l’ordre sur le désordre universel.

En dépit des métaphysiques ou s’attardait encore ce puissant esprit, Kant demeure le grand devancier de Laplace dans la haute tentative d’un essai de cosmogonie positive où des suggestions, même non vérifiées, ont pu venir en aide aux chercheurs. De Laplace lui-même une simple indication nous éclaire : « Et pourquoi ces univers stellaires dispersés dans l’espace infini sous forme de nébuleuses ; ne formeraient-ils pas un ensemble, un système d’ordre supérieur dans lequel ces nébuleuses, y compris la nôtre, circuleraient lentement autour d’un centre ? » Cette hypothèse grandiose d’un monde de mondes qui fait entrevoir un