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AU SOIR DE LA PENSÉE

les Contes des Mille et une nuits[1]." Y aurait-il donc plusieurs degrés du merveilleux divin ? Ce serait l’heure de nous éclairer sur ce point capital. Mais au delà de ses « racines », l’illustre savant ne veut plus rien connaître. Il en montre le jeu organique, mais refuse d’aller plus loin, bien qu’il s’empresse de reconnaître que, si les racines ne sont plus ni substantifs, ni verbes, dans nos langues actuelles, elles ont jadis rempli ce rôle et l’ont même gardé dans la langue chinoise. Viennent-elles de l’onomatopée, c’est-à-dire d’une imitation de sonorités, ou d’un simple mouvement d’interjection ? Inutiles débats. Max Muller triomphe de ce que nous disons un chien, et non plus un ouah-ouah. La question est de savoir, non si nous disons aujourd’hui un ouah-ouah, mais si nous l’avons primitivement dit, comme le disent encore nos enfants, et comme le disent encore à peu près les Chinois[2].

Raisonnant sur son sanscrit, Max Muller cherche à y rattacher les premières manifestations des pensées de l’espèce humaine. Mais combien de langues existèrent avant le sanscrit ? Qui nous donnera la philologie comparée des langues de nos tribus sauvages ? La question me paraît secondaire de savoir comment les hommes ont formé leurs premiers mots, puisqu’il ne peut me venir l’idée qu’ils aient, d’abord, institué des règles à cet égard. Ils ont fait comme ils ont pu, d’un élan d’empirisme, dans l’effort d’un besoin au delà de l’hérédité. Le mimétisme étant une des sources de l’habitude lamarckienne, il ne paraît pas douteux que l’onomatopée ait été des premières suggestions de la voix humaine comme il en demeure tant de traces dans nos langues modernes. Le perroquet, l’étourneau, le bouvreuil, l’oiseau moqueur ne procèdent pas différemment. Il s’agissait, avant tout, de dénommer. Ce fut le premier stage d’agrandissement du champ de la pensée. D’où vinrent les dénominations diversement proposées, le problème étant d’attacher d’abord aux choses des étiquettes de sonorité ? Combien de siècles purent

  1. La Science du langage.
  2. « Si les éléments constitutifs du langage étaient ou de simples cris, ou des imitations des bruits de la nature, il serait difficile de comprendre, écrit Max Muller, pourquoi les bêtes ne posséderaient pas le langage ? » C’est peut-être surtout parce que leur font défaut les organes de mentalité nécessaires. Si nous avions des ailes, nous volerions sans doute, Mais nous n’en avons pas.