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LES CAHIERS

Ne pouvant plus tenir, malgré toutes les instances possibles, je quittai le village. Je reviens sur mon lancé[1] pour voir si l’on me reconnaîtrait, mais personne ne pensait à l’enfant perdu. Cela faisait quatre ans d’absence ; je n’étais plus reconnaissable.

J’arrive le dimanche ; je vais voir ces belles fontaines[2] qui coulent auprès du jardin de mon père. Je me mets à pleurer, mais étant plus fort que l’adversité, je prends mon parti. Je me débarbouille dans cette eau limpide, au lieu où naguère je me promenais avec mes frères et ma sœur.

Enfin, la messe sonne. Je m’approche près de l’église, mon petit mouchoir à la main, car j’avais le cœur bien gros. Mais je tiens bon ; je vais à la messe ; je me mets à genoux. Je fais ma petite prière, regardant en dessous. Personne ne faisait attention à moi. Cependant j’entends une femme qui dit : « Voilà un petit Morvandiau qui prie le bon Dieu de bon cœur. » J’étais si bien déguisé que personne ne me reconnut ; mais moi ce n’était pas la même chose. Je ne parle à personne ; la messe finie, je sors de l’église. J’avais bien vu mon père qui chantait au lutrin ; il ne se doutait pas qu’il y avait près de lui un de ses enfants qu’il avait abandonné.

  1. Je reviens à mon point de départ (terme de vénerie).
  2. D’où le nom du village : Druyes-les-Belles-Fontaines.