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DU CAPITAINE COIGNET.

sentants et deux louis pour le beau cheval. Quel bonheur pour moi ! En arrivant, je donne tout mon argent à madame, et le dimanche suivant elle me fit cadeau de six cravates. Monsieur dit : « Mes deux voyages me valent trente mille francs. » Il avait de plus placé cinq cents sacs de farine.

Nous reprîmes nos travaux habituels. Je devins fort et intelligent. Je montais les chevaux les plus fougueux, je les rendais dociles. Je repris aussi la charrue ; je fis présent à mon maître laboureur d’une blouse bien brodée au collet ; il était content. À seize ans, je portais un sac comme un homme ; à dix-huit ans, je portais le sac de trois cent vingt-cinq ; je ne rebutais à rien ; mais l’état de domestique commençait à devenir pour moi un fardeau pesant. Ma tête se portait vers l’état militaire ; je voyais souvent de beaux militaires avec de grands sabres et de beaux plumets ; ma petite tête travaillait toute la nuit. Enfin je finis par me le reprocher, moi qui étais si heureux ! Ces militaires m’avaient tourné la tête, je les maudissais ; l’amour du travail avait repris ses droits, et je n’y pensais plus.

Les fermiers arrivaient de toutes parts pour livrer les blés vendus à M. Potier. Chaque fermier avait un échantillon de son blé à la maison. « Jean, disait mon maître, allez chercher dix sacs. » Que de sacs de mille francs sortaient de son cabinet ! Cela dura jusqu’à Noël.