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Page:Colet - Lui, 1880.djvu/410

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— Mais où allez-vous donc ? repris-je.

— Présider à l’érection de deux statues. C’est une idée bouffonne qui a passé par la tête ou plutôt par les cent têtes d’un corps savant, de m’envoyer, moi, le caprice et l’ironie en personne, prononcer des discours et entendre des congratulations officielles. Il est vrai qu’on m’a adjoint Amelot, à qui je laisserai toute la partie grave ou plutôt comique de la cérémonie.

Ce qu’il y a pour moi de sérieux dans tout ceci, c’est l’honneur public qu’on va rendre à Bernardin de Saint-Pierre en plaçant sa statue en face de cet Océan tourmenté qu’il a si admirablement décrit. Vous savez, marquise, que je n’ai pas l’orgueil de mes œuvres, mais j’ai l’orgueil de mes aspirations ; elles ont toujours tendu au beau et à l’idéal dans l’art et m’ont fait goûter avec délices les créations du génie. C’est ainsi que tout enfant je me suis passionné pour l’idylle exquise de Paul et Virginie. Mon culte pour l’auteur m’imposait de ne pas refuser la mission dont on m’a chargé quoiqu’elle répugne à toutes mes habitudes. Quant à l’autre statue elle sera inaugurée par Amelot, par le successeur naturel du talent négatif de celui à qui l’on décerne un hommage égal à l’hommage qu’a mérité le génie. Je vois d’ici les regards étonnés que se jetteront éternellement sur le rivage solitaire de la mer la figure du vrai poëte et celle du rimailleur qu’on a proclamé le représentant de la Poésie bourgeoise ; association criante de deux mots qui se repoussent et qui équivaudraient à dire ; l’Idéal matériel ! Mais ce bon Amelot n’en-