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Page:Colette - Les Égarements de Minne, 1905.djvu/132

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batracien sans jambes, gibbeux, impossible à marier, qu’elle nourrit, terrorise et contraint à un rôle de muette complicité. Les habitués du salon Chaulieu ont donné à cette duègne tératologique le nom significatif de « Ma sœur Alibi ».

À côté de Maugis, un vague bas-bleu sirote suavement son cocktail très foncé ; un rire fréquent et servile enlaidit la figure de cette blonde déjà molle, car elle espère, par Irène, obtenir des « prix d’artiste » de Chaulieu qui vient d’affermer la publicité d’un syndicat de journaux.

Une autre femme, mince, qui roule, à l’américaine, des épaules en porte-manteau, détourne son profil trop court, sa mâchoire carrée, et s’absorbe en un duo chuchoté avec son voisin, sculpteur andalou à barbe de Christ… Non, pas brillante, la bande !

Irène en enrage, et la mobilité de ses larges yeux, à double frange alourdie de mascaro, révèle sa colère. Minne, qui n’a pas levé sa