Page:Collectif (famille Chauviteau) - 1797-1817 Lettres de famille retrouvées en 1897, 1897.djvu/212

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admirer un jour, mais qui devait, hélas ! laisser des regrets bien amers à tous les êtres chéris, à qui elles furent ravies si prématurément.

Mamita nourrissait elle-même ses enfants ; elle fut cependant obligée, pour Louise, de recourir à une chèvre, n’ayant pu se décider à donner une négresse à son enfant.

On peut dire en passant que ses enfants étaient tous beaux : finesse de teint et finesse de traits du type vendéen en Jean-Ferdinand, Micaële et Charlotte ; régularité de traits plus parfaits et yeux noirs espagnols en Séraphine et Louise, en chacune d’elles la grâce des créoles. Entre toutes, Louise était blanche et rose, et, quand sa belle chèvre noire, attentive à ses moindres cris, s’élançait sur son berceau, lui offrant d’elle-même ses noires mamelles, sans jamais la blesser, les amies de Bonne-Maman se réunissaient pour admirer ce joli tableau. Il est à regretter que cette petite scène n’ait pas été reproduite, mais l’imagination et les souvenirs peuvent y suppléer. Il faut par la pensée, l’encadrer dans une de ces vastes salles, dallées le plus souvent en marbre, ouvertes sur une galerie qui entoure le patio, au milieu duquel une fontaine jaillissante entretient la fraîcheur et où les orangers et les citronniers en fleurs répandent leurs parfums. Des tentures abritent du soleil : la mère est légèrement vêtue de fine batiste blanche et s’occupe à des travaux d’aiguille, les enfants jouent sur des nattes, n’ayant qu’une légère chemise, les nègres et les négresses portent des corbeilles de fruits et des rafraîchissements. Le bain, la sieste, occupent les heures les plus chaudes du jour, tout est au repos pendant ces après-midi accablantes ; mais, vient la brise de mer, l’animation, le mouvement recommencent jusqu’à une heure avancée de la nuit. Les volantas sont attelées, chacun s’élance au paseo où à la tertulia ; on se rencontre, on se visite, et, tout en s’éventant encore, on jouit de la conversation et de la fraîcheur, car c’est l’heure de respirer. La mère de famille a donné la matinée aux soins de sa maison et sous la direction de Bon-Papa, qui était la régularité et la ponctualité même, elle a déjà pourvu à toute l’administration de son petit monde et à la surveillance et la direction de ses nègres et de ses négresses.