Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/259

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grande route[1]. Mais, n’étant rien qu’une femme condamnée pour la vie à la patience, à l’étiquette et aux cotillons, je dois respecter les préjugés de la femme de charge, et me calmer, si je puis, par quelque procédé moins efficace et plus convenable.

Je ne saurais songer à lire ; — un livre fixerait difficilement mon attention. Essayons d’appeler, à force d’écrire, la fatigue d’abord, le sommeil ensuite. Mon « Journal », dans ces derniers temps, a été fort négligé. Voyons ce que je pourrais me rappeler, — placée comme je le suis, au seuil d’une nouvelle existence, — des personnes et des événements, des chances diverses et des changements de situation, survenus pendant ces derniers six mois, — ce long, ce vide et ennuyeux intervalle qui me sépare du jour où Laura s’est mariée.

Walter Hartright est en première ligne dans mes souvenirs ; quand défile devant moi le cortège fantastique de mes amis absents, c’est lui qui marche en tête des autres. J’ai reçu de lui quelques lignes, écrites après le débarquement de l’expédition dans le Honduras ; elles étaient plus gaies, elles exprimaient plus d’espérances que ses lettres antérieures. Un mois ou six semaines plus tard, j’ai lu je ne sais quel extrait d’un journal américain où était décrit le départ de ces aventuriers, au début de leur voyage dans l’intérieur. On les a perdus de vue à leur entrée dans une forêt vierge, mystérieux désert où chacun d’eux pénétrait, la carabine à l’épaule et le bagage sur le dos. Depuis ce moment, tout vestige d’eux a été perdu pour le monde civilisé. Je n’ai pas reçu de Walter une ligne de plus, et je n’ai pas trouvé dans les journaux un seul paragraphe qui donnât la moindre nouvelle de l’expédition.

La même impénétrable et décourageante obscurité enveloppe le destin et les aventures d’Anne Catherick, aussi

  1. Allusion à un épisode bien connu des fastes du brigandage anglais. Dick Turpin, sur sa fameuse jument, « Black-Bess, » franchit, en vingt-quatre heures, poursuivi par les constables, la distance qui sépare les deux villes de Londres et d’York. Harrison Ainsworth a décrit avec talent cette course effrénée dans son roman de Jack-Sheppard. « N. du T. »