Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/34

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de Hampstead par lequel je m’en revenais ; celui qui mène à Finchley ; celui qui court dans la direction du West-End ; enfin, celui qui ramène à Londres. J’avais machinalement pris cette dernière direction, et marchais lentement le long du grand chemin solitaire, — perdu, je m’en souviens, dans de vaines conjectures sur le genre de beauté de ces jeunes « ladies » du Cumberland, — lorsque, en une seconde, tout le sang de mes veines s’arrêta brusquement au contact léger et soudain d’une main qui, par derrière, se posait sur mon épaule.

À l’instant même, je me retournai, les doigts crispés autour de la poignée de ma canne.

Là, au milieu de cette grande route, large et lumineuse, — là, comme si elle venait de jaillir de terre ou de tomber du ciel, — se tenait, debout, une femme, seule, et, de la tête aux pieds, vêtue de blanc ; sa figure, penchée de mon côté, semblait m’adresser une question solennelle, et, au moment où je me retournai, sa main s’étendit vers le nuage noir qui planait sur Londres.

J’étais trop saisi par la soudaineté de cette apparition extraordinaire, dans le silence de la nuit et en cet endroit isolé, pour lui adresser la moindre question. L’inconnue parla donc la première.

— Est-ce là le chemin de Londres ? dit-elle.

Je l’examinais avec attention pendant qu’elle me demandait cet étrange renseignement. Il était près d’une heure. Tout ce que je pouvais discerner au clair de lune était une figure jeune, sans fraîcheur, aux contours effilés ; de grands yeux sérieux, exprimant par leur fixité une attention extraordinaire ; des lèvres frémissantes, aux mouvements indécis ; et des cheveux blonds, d’une nuance vague, entre le fauve et le brun. Il n’y avait dans ses façons rien d’égaré, rien d’immodeste : elles étaient paisibles et contenues, un peu mélancoliques peut-être et légèrement soupçonneuses : ce n’étaient pas exactement celles d’une « lady ; » d’un autre côté, ce n’étaient pas celles d’une femme appartenant à la caste inférieure. La voix, si peu que je l’eusse entendue, m’avait frappé par ses accents singulièrement calmes, et,