Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/341

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— Plutôt que de vous causer un instant de peine, répondit-elle, j’aimerais mieux me taire à jamais sur lui.

— C’est dans votre intérêt, c’est pour vous, repris-je m’excusant, que je vous adresse cette prière. Si votre mari vous entendait…

— S’il m’entendait, ce serait sans le moindre étonnement…

Cette étrange réponse me fut faite avec le calme froid d’un cœur las de tout. Et le changement survenu dans son attitude, tandis qu’elle parlait ainsi, m’étourdit presqu’autant que ses paroles elles-mêmes.

— Sans le moindre étonnement ? répétai-je ; Laura ! songez à ce que vous dites !… Vous m’épouvantez !

— C’est pourtant la vérité, reprit-elle ; c’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui, lorsque nous causions ensemble dans votre chambre. Quand naguère je lui ouvris mon cœur, à Limmeridge, mes aveux, limités comme ils l’étaient, ne pouvaient nuire à personne. — Vous-même, Marian, vous en aviez jugé ainsi. Je ne lui ai caché que le nom, — et ce nom, il l’a découvert…

Je l’entendais, mais la surprise me coupait la parole. Ses derniers mots venaient de tuer le peu d’espérance qui vivait encore en moi.

— C’est à Rome que ceci est arrivé, continua-t-elle, toujours aussi calme et toujours aussi froide. Nous assistions à une petite soirée donnée à la colonie anglaise par des amis de sir Percival, — master et mistress Markland. Cette dernière a la réputation de dessiner avec beaucoup d’habileté ; quelques-uns des convives la décidèrent, par leurs instances, à nous montrer ses croquis. Nous lui en fîmes tous compliment ; — mais dans ce que j’avais dit, quelque chose attira particulièrement son attention : — Vous dessinez aussi ! me dit-elle. — Autrefois, répondis-je, c’était un de mes plaisirs ; mais je n’étais qu’une écolière, et j’y ai complètement renoncé. — Si vous avez dessiné autrefois, me dit-elle, ce goût-là vous reviendra quelque jour ; et pour le cas où ma prévision se réaliserait, j’aurais un professeur à vous recom-