Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/38

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— Oui…

Une parole bien simple ! Ce mot familier qui passe, à chaque heure du jour, sur les lèvres de tout le monde. Et pourtant, mon Dieu ! je tremble maintenant, rien qu’à le voir écrit devant moi…

Nous nous dirigeâmes vers Londres, et, à cette heure paisible, la première du jour nouveau, — nous marchâmes côte à côte, moi et cette femme dont le nom, le passé, le caractère, les projets, dont la présence même à mes côtés, en ce moment, étaient pour moi autant de mystères impénétrables. Il me semblait rêver. Étais-je bien Walter Hartright ? Cette route, était-ce bien la même, si « passante », si vulgairement hantée, où, les dimanches, viennent bayer les bourgeois en fête ? Était-il bien vrai qu’une heure auparavant je venais de quitter la paisible et décente atmosphère du « cottage » maternel ? J’étais, en vérité, trop étonné de moi-même, — et trop dominé par un sentiment de vague remords, — pour oser, pendant les premières minutes, adresser la parole à mon étrange compagne. Ce fut elle encore qui, la première, rompit le silence.

— J’ai une question à vous faire, dit-elle tout à coup : connaissez-vous, à Londres, beaucoup de monde ?

— Oui, beaucoup.

— Beaucoup de nobles ?… beaucoup de gens titrés ?…

Cette question bizarre était évidemment dictée par je ne sais quel soupçon. J’hésitai avant d’y répondre.

— Quelques-uns, dis-je, après un instant de silence.

— Beaucoup ?… — Elle suspendit ici sa phrase et promena sur mon visage un regard scrutateur. — Beaucoup de gens ayant le rang de « baronet ?… »

Trop étonné pour répondre, je la questionnai à mon tour.

— Pourquoi me demandez-vous ceci ?

— Parce que, dans mon intérêt, j’espère qu’un certain « baronet » vous est inconnu.

— Voulez-vous me dire son nom ?

— Je ne puis… Je n’ose… Je ne m’appartiens plus, quand je le prononce.