Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/463

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Si j’avais eu la force de me tenir sur mon séant, je me serais certainement incliné ; ne l’ayant pas, je chargeai un sourire de mes remerciements. Cela suffisait, et de reste, car nous nous entendions l’un et l’autre à merveille.

— Suivez, je vous prie, la série de mes pensées, continua le comte. Me voici, moi, homme de raffinements sympathiques, en présence d’un autre homme doué comme je le suis moi-même. J’ai conscience d’une nécessité terrible qui va me contraindre à froisser, mortifier, lacérer ces délicates sympathies, par le récit d’événements domestiques qui comportent les plus tristes réflexions. La conséquence inévitable, quelle est-elle ? J’ai déjà eu l’honneur de vous la signaler. Je reste devant vous, confus et troublé au dernier point…

En étions-nous là quand je commençai à soupçonner qu’il venait m’ennuyer ? J’incline à penser que ce fut alors.

— Est-il donc, lui demandai-je, absolument nécessaire de traiter d’ores et déjà ces déplaisants sujets ? et, pour employer une locution un peu brutale, comte Fosco, ne peuvent-ils attendre sans se gâter ?…

Le comte, avec la solennité la plus inquiétante, poussa un gros soupir et secoua la tête.

— Est-il indispensable que j’entende ces fâcheux récits ?…

Il leva les épaules (c’était le premier geste exotique qu’il se fût permis depuis qu’il était chez moi), et me jeta un regard dont l’expression pénétrante me déplut. Mes instincts m’avertirent qu’il serait bon de fermer les yeux. J’obéis immédiatement à mes instincts.

— Dites alors ce qu’il faut, avec les plus grands ménagements, repris-je du ton le plus persuasif. Quelqu’un serait-il mort ?

— Mort ? s’écria le comte avec un emportement continental qui n’avait rien d’utile. Monsieur Fairlie ! votre sang-froid national a quelque chose d’effrayant pour moi. Qu’ai-je dit ou qu’ai-je fait, au nom du ciel, qui ait pu m’offrir à vos yeux comme un messager du trépas ?

— Veuillez recevoir mes excuses, répondis-je. Vous n’avez rien dit, rien fait de semblable. C’est moi qui me