Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/515

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dû me troubler au delà de ce que je croyais moi-même, je mis de côté le volume, et j’allai faire un tour dans le jardin. Aucun motif ne devait me faire penser que sir Percival fût déjà rentré ; je n’avais donc aucun scrupule à me montrer ainsi autour du château.

Mon étonnement fut grand lorsque, en tournant le coin des bâtiments et arrivée en vue des jardins, j’y aperçus une personne étrangère. C’était une femme ; — elle suivait lentement les allées, le dos tourné vers moi, cueillant des fleurs.

Comme j’approchais, elle m’entendit, et se retourna.

Mon sang se figea dans mes veines ; l’étrangère du jardin n’était autre que mistress Rubelle !

Je ne pouvais ni bouger ni parler. Elle remonta vers moi, aussi tranquillement que jamais, tenant toujours ses fleurs à la main.

Qu’y a-t-il donc, madame ? demanda-t-elle avec un sang-froid parfait.

— Vous ici ? m’écriai-je dès que j’eus pu reprendre haleine. Vous n’êtes pas allée à Londres ? Vous n’êtes pas dans le Cumberland ?…

Mistress Rubelle humait ses fleurs avec un sourire de malicieuse pitié : — Certes non, dit-elle ; je n’ai jamais quitté Blackwater-Park…

Je rassemblai assez de courage et assez d’haleine pour lui adresser une autre question.

— Mais où donc est miss Halcombe ?…

Mistress Rubelle, cette fois, me rit franchement au nez, et voici, textuellement, ce qu’elle me répondit :

— Miss Halcombe non plus, n’a point quitté Blackwater-Park…

Lorsque j’entendis cette réponse étonnante, toutes mes pensées refluèrent aussitôt vers l’instant où je m’étais séparée de lady Glyde. C’est tout au plus si je puis dire que je m’adressais des reproches, — mais, dans ce moment, je crois que j’aurais donné mes économies de bien des années pour avoir su, quatre heures plus tôt, ce qui m’était révélé maintenant.