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Deux femmes.

Elles firent quelques pas en avant, et s’arrêtèrent encore. Leurs voiles étaient baissés et me cachaient leurs visages. Quand elles firent halte, l’une d’elles leva son voile. À la calme lumière du soir je reconnus la figure de Marian Halcombe.

Elle était changée et comme vieillie de plusieurs années. Ses grands yeux hagards exprimaient, en me regardant, une terreur étrange. Ce visage usé, fatigué, faisait pitié, La souffrance, la crainte, le chagrin y étaient inscrits comme avec un fer brûlant.

Quittant le tombeau, je fis un pas vers elle. Elle ne bougea pas, — elle ne prononça pas une parole. Sa compagne voilée poussa un faible cri. Je m’arrêtai court. Les sources de la vie semblèrent tarir en moi, et le frisson d’une indicible crainte passa sur moi de la tête aux pieds.

La femme voilée se sépara de sa compagne et vint vers moi, lentement. Laissée à elle-même, immobile et seule, Marian Halcombe parla. C’était bien la voix que je lui avais connue ; — sa voix n’avait pas changé comme son regard terrifié, comme son visage flétri.

— Mon rêve ! mon rêve !… Je l’entendis prononcer ces mots d’une voix très-basse, dans le silence qui nous enveloppait. Elle tomba sur ses genoux, et, levant vers le ciel ses mains jointes : — Père ! disait-elle, donnez-lui la force !… Père ! à l’heure de la tentation, venez-lui en aide !…

L’autre femme avançait ; lentement et en silence, elle avançait. Je la regardai, je la regardai seule, à partir de ce moment.

La voix qui priait pour moi faiblit par degrés et sembla s’éteindre, — puis, s’élevant tout à coup, avec l’accent de la terreur, avec l’accent du désespoir, elle me conjura de m’éloigner.

Mais la femme voilée avait pris possession de moi, corps et âme. Elle s’arrêta de l’autre côté du tombeau. Nous étions face à face, la pierre funéraire entre nous. Elle était du côté du piédestal où l’inscription avait été gravée. Sa robe touchait aux lettres noires.