Page:Collins - La Femme en blanc.djvu/97

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disgracieuse nécessité d’infliger à un homme qui a vécu sous le même toit que moi, dans des rapports d’amicale intimité, la moindre humiliante allusion à des questions de castes et de hiérarchie sociale. Il faut, monsieur Hartright, quitter Limmeridge-House avant que le mal soit aggravé. C’est mon devoir de vous parler ainsi, et ce devoir serait le même, la nécessité de le remplir serait tout aussi impérieuse, quand bien même vous seriez le représentant de la plus antique et de la plus opulente famille d’Angleterre. Vous avez à vous séparer de nous, non parce que vous êtes un simple professeur de dessin… Ici, elle s’arrêta un moment, me regarda bien en face, et par-dessus la table, posant résolument sa main sur mon bras : — … Non parce que vous êtes un simple professeur de dessin, répéta-t-elle, mais parce que Laura Fairlie est déjà fiancée…

Ce dernier mot m’alla au cœur comme une balle de pistolet. Mon bras perdit tout sentiment de la ferme étreinte à laquelle il était soumis. Je ne bougeai ni ne parlai. Le vent aigu de l’automne qui dispersait à nos pieds les feuilles mortes, me sembla tout à coup aussi glacé que si mes folles espérances étaient, elles aussi, des feuilles tombées de l’arbre et balayées par le vent !… Des espérances !… Mais quoi ? fiancée ou non, elle était séparée de moi par des barrières également infranchissables. Un autre homme, cependant, se fût-il à ce moment rappelé ceci ? Non, certes, s’il l’avait aimée comme je l’aimais.

La première angoisse passée, il ne resta plus que l’engourdissement pénible dont est suivie la première douleur qu’un choc violent fait éprouver. De nouveau, je sentis la main de miss Halcombe de plus en plus serrée autour de mon bras ; je levai la tête et la regardai. Ces grands yeux noirs, rivés à moi, guettaient sur mon visage la mortelle pâleur que j’y sentais, sans l’y voir comme elle.

— Sous vos pieds !… disait-elle. En ce même lieu où vous la vîtes pour la première fois, écrasez, broyez sous vos pieds ce sentiment fatal ! Ne le laissez pas, comme font les femmes, vous tenir à sa merci ! Arrachez-le,