Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/168

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je dois avoir à apprendre ce que M. Candy voulait me dire ; si je me suis trompé dans mes prévisions et si en effet notre conversation me démontre clairement que vous ne sauriez m’aider, je m’en remets à votre honneur pour garder mon secret ; quelque chose me dit que je ne m’y serai pas confié en vain.

— Attendez, monsieur Blake. J’ai encore un mot à vous dire, et il faut que vous l’entendiez avant d’aller plus loin. »

Je le regardai avec stupeur ; son visage portait l’empreinte d’une émotion terrible qui semblait avoir remué les profondeurs de son âme. Son teint bistré était devenu d’une pâleur livide ; ses yeux rayonnaient d’un éclat sauvage et sa voix avait pris une inflexion dure et résolue que je ne lui connaissais point encore. Quelles qu’elles fussent, les énergies, bonnes ou mauvaises, cachées au fond de cet homme, se réveillaient en lui brusquement et éclataient avec la soudaineté de l’éclair.

« Avant que vous m’accordiez votre confiance, reprit-il vous saurez dans quelles circonstances j’ai été reçu chez M. Candy ; ce ne sera pas long. Je n’ai pas l’intention, monsieur, de raconter ma vie à qui que ce soit ; mon histoire mourra avec moi. Tout ce que je vous demande, c’est qu’il me soit permis de vous dire ce que j’appris à M. Candy ; si après m’avoir entendu, vous êtes encore d’avis de vous confier à moi, mon attention et mes services vous seront acquis. Voulez-vous que nous marchions ? »

La souffrance qui se peignait sur ses traits m’empêcha de parler ; je lui répondis par un signe, et nous continuâmes notre chemin.

Au bout d’une centaine de pas, Ezra Jennings s’arrêta devant la brèche d’un mur rustique qui séparait la lande de la route.

« Vous plairait-il que nous nous reposions un peu, monsieur Blake ? me dit-il ; je ne suis plus ce que je fus, et il y a des incidents qui me remuent profondément. »

J’acceptai, bien entendu. Il entra par cette brèche et se dirigea vers un tertre de bruyère masqué du côté le plus voisin de la route par des buissons et des arbrisseaux ; de l’autre côté, la vue s’étendait sur l’espace sauvage et soli-