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matin, si elle le désire, elle montrera à M. Blake la lettre qu’elle m’a écrite, et lui donnera ainsi la joie de savoir qu’il était absous dans son cœur avant de subir l’épreuve publique de son innocence.

Je viens de lui écrire dans ce sens ; c’est tout ce que je puis faire aujourd’hui ; demain il me faudra m’entendre avec M. Betteredge au sujet des arrangements à faire dans la maison.

18 juin. — Aujourd’hui encore, je n’ai pu aller chez M. Blake que fort tard. Dès l’aurore, mes atroces douleurs m’ont repris pour me laisser ensuite dans un état d’épuisement complet. Je serai obligé, je le prévois, de recourir pour la centième fois aux soulagements si chèrement payés que me procure l’opium. Si je n’avais à songer qu’à moi, je préférerais encore la souffrance à ces rêves effrayants. Mais la souffrance physique m’anéantit ; si je me laisse envahir par elle, je deviendrai inutile à M. Blake au moment même où je puis lui être le plus nécessaire.

Il était près d’une heure lorsque je suis arrivé à l’hôtel ; tout malade que j’étais, cette visite n’a pas laissé que de m’amuser beaucoup, grâce à la présence de Gabriel Betteredge.

Il était dans la pièce lorsque j’y suis entré ; pendant que je faisais quelques questions à M. Blake, il s’est retiré près de la fenêtre. M. Blake avait mal dormi et se sentait plus éprouvé que précédemment par suite du manque de sommeil. Je lui ai demandé s’il avait reçu des nouvelles de M. Bruff ; une lettre lui était parvenue le matin même ; M. Bruff blâmait dans les termes les plus énergiques la marche adoptée à mon instigation par son ami et client. L’entreprise était illisible, puisqu’elle éveillait des espérances irréalisables. Son esprit se refusait absolument à y voir autre chose qu’un tour digne des prestidigitateurs habiles, des somnambules et autres charlatans de ce genre. Cela ne servirait qu’à bouleverser la maison de miss Verinder d’abord, et elle-même ensuite… Il avait soumis toute l’affaire, sans nommer personne, à l’appréciation d’un médecin distingué ; l’éminent docteur avait souri, secoué la tête et s’était prononcé en silence. M. Bruff croyait donc avoir lieu de protester, et il s’en tiendrait là.