Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/223

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Je vois que la porte de la chambre de miss Verinder est restée entr’ouverte ; elle éteint sa lumière et se contient admirablement. L’ombre de son vêtement d’été décèle seule sa présence ; il faut en avoir été prévenu pour se douter qu’il y a là une créature vivante ; pas un mot, pas un geste ne lui échappe dans l’obscurité.

Ma montre marque une heure dix minutes ; j’entends au milieu du silence profond le bruit monotone de la pluie d’été et le murmure de la brise qui souffle à travers les arbres. Après s’être arrêté irrésolu en plein salon l’espace de quelques instants, M. Blake se dirige droit vers le coin où se trouve le cabinet des Indes.

Il pose son flambeau sur le haut du meuble, dont il ouvre et referme successivement tous les tiroirs jusqu’à ce qu’il arrive à celui qui contient le faux diamant ; il regarde alors attentivement à l’intérieur ; puis il saisit la fausse pierre de sa main droite, de l’autre il reprend le flambeau posé sur le haut du meuble.

Il fait alors quelques pas jusqu’au milieu de la pièce, et là s’arrête de nouveau.

Jusqu’ici, il a agi exactement comme il avait dû le faire le soir du jour de naissance. Ses faits et gestes subséquents vont-ils de même répéter ceux de l’an passé ? Quittera-t-il la pièce ? Rentrera-t-il dans sa chambre, comme je crois qu’il a dû le faire autrefois ? Saurons-nous comment il a jadis disposé du diamant lorsqu’il est revenu chez lui ? La première chose que nous lui voyons faire, une fois sorti de son immobilité, est une chose qu’il n’a point faite dans la nuit du vol.

Il pose sa bougie sur la table, puis se promène encore du peu dans la pièce, à une des extrémités de laquelle se trouve un sopha ; là, il s’appuie lourdement sur ce meuble, et se secouant, s’efforce de regagner le milieu du salon ; je puis maintenant voir ses yeux ; ils deviennent troubles et lourds, et leur feu s’éteint rapidement.

C’est trop d’émotion pour miss Verinder : en dépit d’elle-même, son sang-froid l’abandonne ; elle fait quelques pas en avant et s’arrête. M. Bruff et Betteredge me regardent pour la première fois ; la prévision d’une déception se fait jour dans leur esprit, aussi bien que dans le mien. Cependant,