Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/273

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dant de leur lumière ces masses innombrables ; ajoutez-y encore dans un ciel sans nuages le pur éclat d’une lune de l’Orient, et vous aurez une faible idée du spectacle sur lequel mes regards s’attachaient du haut de la montagne.

Une musique plaintive, exécutée par des flûtes et des instruments à corde, ramena mon attention vers la châsse voilée. Je me retournai, et je vis trois hommes sur le rocher en forme d’estrade.

Je reconnus aussitôt, parmi eux, l’individu à qui j’avais parlé un soir en Angleterre, lorsqu’il s’introduisit sur la terrasse de la maison de campagne de lady Verinder. Les deux autres Indiens qui se tenaient à ses côtés devaient, sans contredit, avoir été ses compagnons dans l’occasion où je vis celui dont je parle ici.

Un des Hindous, placé près de moi, me fit tressaillir ; il se pencha vers moi, et m’expliqua l’apparition de ces trois figures sur la plate-forme.

Il me dit que ces personnages étaient des brahmines, qui avaient consenti à déchoir de leur caste pour le service du dieu. Le dieu avait ordonné que leur purification s’opérât par un pèlerinage. Cette nuit-là même, ces trois hommes devaient se séparer, et se diriger par trois voies différentes vers les lieux de pèlerinage les plus renommés dans l’Inde. Ils ne se reverraient jamais ; jamais ils ne prendraient de repos pendant la durée de leurs pérégrinations, depuis le jour qui allait marquer leur séparation jusqu’à celui de leur mort.

Tandis qu’il murmurait ces paroles à mon oreille, la musique cessa. Les trois hommes se prosternèrent à terre, devant le rideau qui cachait le sanctuaire. Ils se levèrent, se regardèrent longuement, et s’embrassèrent ; puis ils descendirent séparément dans la foule, qui leur ouvrit passage au milieu du plus profond silence. Je vis la multitude se diviser simultanément, en trois groupes bien distincts, et presque aussitôt cette masse imposante se referma. Les trois pèlerins étaient perdus dans la foule, nous ne devions plus les revoir.

La musique éclata de nouveau, cette fois joyeuse et bruyante. La foule tressaillit et se pressa dans la direction de la châsse.