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que penser à Rachel Verinder, j’avais pu hésiter ; mais quand je me trouvai en sa présence, mon parti fut pris sur-le-champ, et je me décidai, quoi qu’il pût en résulter, à dire la vérité.

L’occasion que je cherchais s’offrit le lendemain de mon arrivée, comme je me promenais avec elle.

« Puis-je m’entretenir avec vous, lui dis-je, de votre projet de mariage ?

— Oui, fit-elle avec indifférence, si vous n’avez rien de plus intéressant à me dire.

— Pardonnerez-vous à l’ancien ami et serviteur de votre famille, miss Rachel, si je vous demande jusqu’à quel point votre cœur est engagé dans la réalisation de ce projet ?

— Je me marie en désespoir de cause, monsieur Bruff. Je ne vois dans le mariage qu’une sorte de bonheur plat qui puisse me réconcilier avec la vie. »

Cette réponse empreinte d’amertume semblait trahir l’existence de quelque roman intime.

Mais je poursuivais mon but et me gardai d’entrer dans aucune digression superflue.

« M. Godfrey Ablewhite ne saurait être de votre avis, dis-je. Son cœur à lui est intéressé dans cette union ?

— Il le dit, et je suppose que je dois le croire. Il ne m’épouserait pas, après tout ce que je lui ai avoué, s’il n’avait de l’affection pour moi. »

Pauvre jeune fille ! la pensée qu’un homme pouvait rechercher sa main dans des vues purement égoïstes et mercenaires ne lui était jamais entrée dans la tête.

Ma tâche était décidément plus difficile à remplir que je ne l’avais prévu.

« Avec mes préjugés d’un autre temps, poursuivis je, je trouve étrange…

— Qu’est-ce qui vous semble étrange ? demanda-t-elle.

— De vous entendre parler de votre futur comme si vous n’étiez pas absolument certaine de son attachement. Croyez-vous avoir quelque raison pour concevoir ce doute ? »

Sa pénétration peu commune saisit un changement dans ma voix ou dans mes manières, lorsque je lui fis cette question, et l’avertit que j’avais une intention en causant avec elle. Elle s’arrêta, retira son bras de dessous le mien, et me sonda du regard.