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Huit ou dix jours après que miss Verinder nous eut quittés, un de mes clercs entra dans mon bureau particulier et me remit une carte, en me disant qu’un gentleman demandait à me parler.

Je regardai la carte ; elle portait un nom étranger que j’ai oublié : puis, dans le bas, une ligne écrite en anglais, dont je me souviens fort bien :

« Recommandé par M. Septimus Luker. »

L’audace d’un individu qui, dans la situation de M. Luker, osait me recommander quelqu’un, m’abasourdit à tel point, que je restai un instant muet, me demandant si je ne rêvais pas. Le clerc remarqua ma stupéfaction et voulut bien me faire part de ses réflexions sur l’étranger qui m’attendait en bas :

« C’est un personnage d’une singulière physionomie, monsieur. Il est si brun que nous l’avons tous pris pour un Indien ou quelque chose de pareil. »

En associant l’impression du clerc avec l’impertinente inscription de la carte, je soupçonnai sur l’heure que la Pierre de Lune était au fond de la recommandation de M. Luker et de la visite de cet étranger. Au grand étonnement de mon clerc, je me décidai à accorder un entretien au susdit gentleman.

Pour me justifier d’avoir ainsi sacrifié ma dignité professionnelle à une pure curiosité, permettez-moi de vous rappeler qu’il n’y avait personne — du moins en Angleterre — qui fût plus au courant que moi de l’histoire du diamant indien. J’avais reçu la confidence du plan formé par le colonel Herncastle pour échapper à ses assassins. J’avais reçu les lettres périodiques du colonel ; j’avais dressé son testament par lequel il léguait la Pierre de Lune à miss Verinder ; j’avais persuadé à son exécuteur d’accepter la charge résultant de cette clause, dans la pensée qu’un joyau de cette valeur serait une précieuse acquisition pour la famille. Enfin c’était moi qui avais combattu les scrupules de M. Franklin Blake et qui l’avais décidé à transporter la Pierre de Lune dans la maison de lady Verinder. Si donc quelqu’un avait le droit de s’intéresser à cette mystérieuse affaire, vous avouerez que c’était bien moi !

Dès l’instant que mon client improvisé parut devant moi,