Page:Comédie humaine - Répertoire.djvu/180

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à la cour, donna des fêtes chez elle et ne tarda pas à devenir une femme à la mode ; elle s’assit alors « sur le trône où avaient brillé la vicomtesse de Beauséant, la duchesse de Langeais, madame Firmiani, laquelle, après son mariage avec M. de Camps, avait résigné le sceptre aux mains de la duchesse de Maufrigneuse, à qui madame d’Espard l’arracha ». Froide, égoïste et coquette, elle n’avait ni haine ni amour ; son indifférence était profonde pour tout ce qui n’était pas elle-même. Elle ne se remuait pas ; elle avait des procédés savants pour conserver sa beauté, n’écrivait jamais, mais parlait, sachant que deux mots d’une femme peuvent faire tuer trois hommes. Plusieurs fois, elle avait donné, soit à des députés, soit à des pairs, des mots et des idées qui, de la tribune, avaient retenti en Europe. Parmi les hommes, encore jeunes en 1828, auxquels l’avenir appartenait, et qui se pressaient dans ses salons, se remarquaient MM. de Marsay, de Ronquerolles, de Montriveau, Martial de la Roche-Hugon, de Sérizy, Ferraud, Maxime de Trailles, Listomère, les deux Vandenesse, Sixte du Châtelet ; les deux célèbres banquiers Nucingen et Ferdinand du Tillet, ceux-ci sans leur femme. Madame d’Espard demeurait rue du faubourg Saint-Honoré, 104 (L’Interdiction). C’était une superbe Célimène. Elle se montrait d’autant plus prude et sévère qu’elle était séparée de son mari, sans que le monde eût pu pénétrer la cause de leur désunion ; elle était entourée des Navarreins, des Blamont-Chauvry, des Lenoncourt, ses parents ; les femmes les plus collet-monté la fréquentaient. Cousine de madame de Bargeton, qui se réclama d’elle à son arrivée d’Angoulême en 1821, elle la guida dans Paris, l’initia à tous les secrets de la vie élégante et la détacha de Lucien de Rubempré. Plus tard, lorsque le « grand homme de province » fut parvenu à se faire accepter de la haute société, d’accord avec madame de Montcornet, elle l’engagea dans le parti royaliste (Illusions perdues). En 1824, elle se trouvait au bal de l’Opéra, où l’avait amenée un rendez-vous donné par un billet anonyme, et, au bras de Sixte du Châtelet, elle abordait Lucien de Rubempré, dont la beauté la frappait et qu’elle semblait, d’ailleurs, ne pas reconnaître. Le poète se vengeait de son ancien dédain par des mots piquants, et Jacques Collin (Vautrin), masqué, achevait de troubler la marquise en lui persuadant que Lucien était l’auteur du billet et qu’il l’aimait (Splendeurs et Misères des Courti-