Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/48

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sérieux, il l’appelle une poésie sophistique. Que fait-il pour le prouver ? Il suspend un philosophe, un grave et fier stoïcien, aux tours de Notre-Dame, dans une cage de fer bien attachée. « Vous ne pouvez tomber, lui dit-il ; et cependant vous avez peur ? Allons donc ! vous êtes un esprit faible comme les autres. Vous nous donnez vos systèmes pour de l’argent comptant, et vous faites souvent la culbute. »

Une fois dans ce persiflage, Montaigne ne s’arrête plus, et il s’attaque à la morale des philosophes, aussi bien qu’à leur métaphysique ; à la théorie des devoirs, comme à celle des idées. « Les philosophes, dit-il, ne peuvent réprimer nos sens, pas plus que les leurs, et volontiers ils nous diraient de nous couper et boucher les oreilles, pour éviter les pensées qui nous viennent par l’ouïe ; comme cet idiot qui coupait l’arbre pour avoir le fruit. Démocrite, en effet, ce beau philosophe, se creva les yeux pour décharger l’âme des tentations qu’elle en recevait et pouvoir philosopher plus en liberté. — Mais à ce compte, ajoute Montaigne, il se devait aussi faire étoupper les oreilles, et se devait priver enfin de tous les autres sens, c’est-à-dire de son être et de sa vie ; car ils ont tous cette puissance de commander nos discours et notre âme. »

Quelle est la pensée de Montaigne sous cette vive moquerie ? que la religion, c’est-à-dire la foi, une sorte de raison divine et de crainte de Dieu, communiquée aux hommes, fait plus pour les mœurs que toute la philosophie, et qu’on se tromperait en appliquant son fameux que sais-je ? à la religion, à la révélation chrétienne, à la foi. Rouvrons le même chapitre xii, qui ne laisse rien à désirer sur ce point. Montaigne y donne la révélation comme une source unique de vérité ; le libre-examen lui paraît dangereux, et volontiers il comparerait le protestantisme à l’athéisme, pour l’abus, dit-il, qu’en peuvent faire les classes ignorantes. Le pape Grégoire XIII ne s’y trompa point. En dépit de quelques critiques jalouses, faites, à Rome, par un moine français, il loua la partie connue des Essais de Montaigne. « Continuez, dit-il à l’illustre auteur ; aidez à l’Église par votre éloquence. »