Page:Combes - Essai sur les idées politiques de Montaigne et La Boëtie.djvu/49

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Pourtant un avocat célèbre de Bordeaux, qui fut ministre d’un roi malheureux, et fut malheureux lui-même, emprisonné, exilé, M. de Peyronnet, en parlant des Essais dans ses Pensées d’un prisonnier, dit qu’on y cherche en vain le chrétien ; il se trompe. M. Nisard dit de Montaigne : « Les études le prirent philosophe catholique, et le laissèrent philosophe chrétien. » Un juge, moins prévenu encore, M. Cousin, va plus loin et le maintient catholique, « à côté, dit-il, d’un naturalisme qui n’éblouit que les esprits faibles et craintifs. Montaigne, ajoute-t-il, se repose de toutes choses dans la foi à la révélation[1]. Il ne voit que là la sûreté et le port pour la raison même. Il désenseigne la sottise, comme disait son admiratrice et sa fille d’alliance, Mlle  de Gournay. »

Que fait-il encore ? Il flétrit la question, la torture judiciaire, deux cents ans avant qu’on l’abolît. « C’est bien assez de la mort, » s’écrie-t-il. Il trouve aussi que la tolérance mettrait fin aux guerres de religion ; c’est son expression (t. III, p. 113), et il devance de vingt ans le célèbre édit d’Henri IV. Il déclare enfin qu’il aime et approuve la noblesse, comme une distinction pour de rares services, tout en mettant la vertu au-dessus d’elle, et, pareil à Fénelon, il dit bien haut (t. IV, p. 95) qu’il préfère l’humanité à la patrie… ; ce qui signifiait — car il faut comprendre ces grands esprits — qu’il ne faut pas, même pour sa patrie, rêver un bonheur qui ne serait pas celui de l’humanité… Mais prenons-y garde, Montaigne était de la race des magistrats très chrétiens, de ces magistrats, qui, à l’exemple de son collègue, le président François de Lâge, ceignaient, en mourant, l’habit de cordelier, pour mieux marquer leur foi chrétienne.

Le docte conseiller Étienne Pasquier parle de Montaigne dans sa lettre xxxve. « Lorsque, en 1592, dit-il, il se sentit près de mourir, il pria sa femme de faire venir quelques gentilshommes ses voisins, afin de prendre congé d’eux.

  1. Il y a dans une revue de province, la Chronique de Bergerac, citée par M. de Gourgues, année 1855, deux excellents articles de M. l’abbé Sagette, professeur au petit séminaire, sur le Christianisme de Montaigne. C’est un travail très remarquable.