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Pyrrha ou Cadmus ; nous ne pouvons guères le tordre de son pli accoutumé, que nous ne rompions tout. » (T. IV, p. 68.)

Certes je ne fais pas de thèse, et un peuple doit se rapprocher le plus qu’il peut de la forme républicaine. Mais voilà les idées politiques de Montaigne ; voilà son expérience qu’il oppose à l’imagination, et sa sagesse qu’il croit meilleure que la raison. La coutume façonne l’esprit, comme elle façonne le corps, et rien de plus ardu, selon lui, que de changer les habitudes.

« Quand je vois, dit Montaigne (t. I, p. 314 ; t. III, p. 88), la difficulté des changements d’État et le danger du croulement général ; quand je vois, dans nos guerres civiles, qu’on ne peut sortir de peur d’être pris, qu’on se dévore entre adversaires et voisins, qu’on se rôtit et qu’on se mange après trépas, ou qu’on jette ses adversaires aux chiens et aux pourceaux, si je pouvais planter une cheville à notre roue et l’arrêter, je le ferais de bon cœur. »

Il ne faut pas croire pourtant qu’avec de telles idées, Montaigne se fasse illusion sur les rois, et qu’il adore les maîtres du monde. Il a trop vu, il a trop vécu, il a passé l’âge où l’on adore. Il ne s’engoue ni des peuples ni des rois ; c’est un esprit rassis et tempéré. Il n’aime pas les formes extrêmes, la royauté pure pas plus que la démocratie, et il faut le prendre comme il est. Aujourd’hui même on ne parlerait peut-être pas des princes avec aussi peu de respect (t. I, p. 120) : « De même, dit-il, que les joueurs de comédie que vous voyez sur les tréteaux faire une mine de duc et d’empereur, et, tantôt après, les voilà devenus valets et crocheteurs misérables, qui est leur native et originale condition, de même l’empereur, duquel la pompe veut éblouir en public, voyez-le derrière le rideau : ce n’est rien qu’un homme commun, et, à l’aventure, plus vil que le dernier de ses sujets, ayant mêmes infirmités et mêmes passions. Quand la vieillesse lui sera sur les épaules et que la crainte de mourir le transira, les archers de sa garde