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CORRESPONDANCE

peuple me série le cœur : ils dansent comme s’ils n’avaient rien perdu. Les loups dont vous avez délivré le pays de Gex[1] vont s’élancer sur le reste de la France, et deux ans d’abstinence ont changé en rage la soif qu’ils avaient du sang du peuple. Croyez-vous qu’ils ont osé demander qu’il ne fût pas permis d’écrire contre eux ; que cette vile postérité des laquais, des catins, des traitants du dernier siècle, prétend être respectée, et qu’elle le sera ? Ils veulent nous mettre un bâillon, de peur que les cris que la douleur nous arrache ne troublent leur repos. Voilà où nous sommes tombés, mon cher et illustre maître, et de bien haut !

Voilà donc enfin La Harpe de l’Académie ! J’en ai été bien aise pour lui. Quant à la littérature, je la crois perdue avec tout le reste. Vous ne sauriez croire quel ressort et quelle activité deux ans d’oppression ont donnés à la canaille, et comme elle va profiter de la liberté qu’elle a recouvrée. On ne fera point de mal positif, on ne persécutera point ; mais on laissera tous ces fripons subalternes voler, nuire et persécuter à leur gré.

Je tâcherai d’avoir une occasion de vous écrire librement ; mais vous savez qu’il y a un certain Rigolei[2], parent d’un autre Rigolei, et que ce Rigolei

  1. Les commis de la ferme.
  2. Rigoley d’Ogny, intendant des postes, dont il a déjà été question p. 107, frère de ce Rigoley de Juvigny, avocat de Dijon, qui avait colporté le libelle de Travenol, violon de l’Opéra, contre Voltaire. Ce Rigoley a fait présent au public de l’édition en 7 volumes des œuvres complètes de Piron, son compatriote, qu’il appelle le plus grand poète du siècle, pour humilier Voltaire.