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ENTRE TURGOT ET CONDORCET.


sentiment dans toute son énergie naturelle. J’ai renoncé à la chasse, pour qui j’avais eu du goût, et je ne me suis pas même permis de tuer les insectes, à moins qu’ils ne fassent beaucoup de mal. Je ne suis donc pas de l’avis d’Helvétius, puisque j’admets dans l’homme un sentiment dont il ne me paraît pas qu’il ait soupçonné la force et l’influence.

Je trouve avec vous que ce livre peut faire beaucoup de tort à ce qu’on appelle les philosophes, parce qu’on regardera toujours ses opinions comme les principes secrets de tous les gens qui pensent avec liberté sur la religion et sur le gouvernement.

Je n’aime pas aussi qu’un homme qui écrit si fortement contre le despotisme, prodigue l’encens à des despotes qui n’ont fait que du mal à l’humanité et dont tout le mérite est d’avoir loué l’auteur et ses ouvrages.

Je pense avec Helvétius qu’on peut être très-juste, très-bienfaisant et très-scrupuleux ; que surtout on peut être un grand homme de guerre, un grand philosophe, un grand poète, et avoir des mœurs détestables ; et qu’en établissant de l’ordre entre les vertus, il faut mettre la justice, la bienfaisance, l’amour de la patrie, le courage (non pas celui de la guerre qu’ont tous les chiens de basse-cour), la haine des tyrans, bien loin au-dessus de la chasteté, de la fidélité conjugale, de la sobriété. Mais je crois qu’il faut distinguer, en fait de mœurs, ce qui n’est que local de ce qui est de tous les temps et de tous les lieux. Par exemple, il peut être permis ou défendu de jouir de toute femme qui y consent avec