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Vie de M. turgot.


Il pensait que le roi doit à ses sujets des tribunaux de justice, composés d’hommes ayant les qualités que les lois exigent pour les remplir ; formés du nombre de juges nécessaire suivant les mêmes lois ; institués, non pour une cause particulière, mais pour un district marqué, ou pour un genre général de causes ; indépendants, enfin, dans le cours de leurs fonctions, de toute révocation arbitraire. Il pensait que tout tribunal ainsi constitué peut être légitime ; que la difficulté de remplacer les anciens juges, quand ils ont quitté leurs fonctions, non parce qu’on a voulu les forcer à juger contre les lois, mais parce qu’on a blessé leurs opinions ou attaqué des privilèges étrangers à leur devoir principal, ne pouvait que donner des armes à l’esprit d’anarchie, et introduire, entre les ministres du souverain et ses officiers de justice, une espèce de gageure à qui sacrifierait avec plus d’opiniâtreté l’intérêt du peuple à ses intérêts personnels. L’opinion populaire s’était déclarée contre la chambre royale ; mais ce motif n’arrêta point M. Turgot : la certitude d’avoir bien fait, le témoignage de quelques hommes éclairés lui suffisaient ; et il a toujours pensé que, s’il ne faut point blesser l’opinion, même injuste, dans les choses indifférentes, c’est, au contraire, un véritable devoir de la braver lorsqu’elle est à la fois injuste et nuisible.

Ce fut à cette même époque de sa vie que M. Turgot donna quelques articles de l’Encyclopédie. Il était lié avec les éditeurs de cet ouvrage : d’ailleurs, il était persuadé que le seul moyen sûr et vraiment