Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/190

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jugés des temps qui les ont vues naître, ne renferment aucune précaution pour ne les appliquer qu’aux individus dont l’instruction peut devenir un bienfait public ; elles n’étaient qu’une espèce de loterie, offrant à quelques êtres privilégiés l’avantage incertain de s’élever à une classe supérieure ; elles faisaient très peu pour le bonheur de ceux qu’elles favorisaient, et rien pour l’utilité commune.

En voyant ce que le génie a su exécuter malgré tous les obstacles, on peut juger des progrès qu’aurait faits l’esprit humain, si une instruction mieux dirigée avait au moins centuplé le nombre des inventeurs.

Il est vrai que dix hommes partant du même point ne feront pas dans une science dix fois plus de découvertes, et surtout n’iront pas dix fois plus loin que l’un d’entre eux qui aurait été seul. Mais les véritables progrès des sciences ne se bornent pas à se porter en avant ; ils consistent aussi à s’étendre davantage autour du même point, à rassembler un plus grand nombre de vérités trouvées par les mêmes méthodes et conséquences des mêmes principes. Souvent ce n’est qu’après les avoir épuisées qu’il est possible d’aller au-delà ; et, sous ce point de vue, le nombre de ces découvertes secondaires amène un progrès réel.

Il faut observer encore qu’en multipliant les hommes occupés d’une même classe de vérités, on augmente l’espérance d’en trouver de nouvelles, parce que la différence de leurs esprits peut correspondre plus aisément à celle des difficultés, et que le hasard qui influe si souvent sur le choix des objets de nos