Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/218

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que l’opi-nion seule peut remplir. Si, dans cet espace, les esprits supérieurs ont placé des vérités à l’aide desquelles ils y marchent d’un pas ferme, et peuvent même s’élancer au-delà de ses limites, pour le reste des hommes, ces mêmes vérités se confondent encore avec les opinions, et personne n’a droit de les distinguer pour autrui, et de dire : Voilà ce que je vous ordonne de croire, et ce que je ne puis vous prouver.

Des vérités appuyées d’une preuve certaine, et généralement reconnues, sont les seules qu’on doive regarder comme immuables, et on ne peut s’empêcher d’être effrayé de leur petit nombre. Celles qu’on croit le plus universellement reçues, contre lesquelles on ne supposerait pas qu’il pût s’élever des réclamations, ne doivent souvent cet avantage qu’au hasard, qui n’a point tourné vers elles les esprits du grand nombre. Qu’on les livre à la discussion, et bientôt on verra naître l’incertitude, et l’opinion partagée flotter longtemps incertaine.

Cependant, comme ces sciences influent davantage sur le bonheur des hommes, il est bien plus important que la puissance publique ne dicte pas la doctrine commune du moment comme des vérités éternelles, de peur qu’elle ne fasse de l’instruction un moyen de consacrer les préjugés qui lui sont utiles, et un instrument de pouvoir de ce qui doit être la barrière la plus sûre contre tout pouvoir injuste.